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Contruire (d')écrire
Architeture écrite / Architecture dessinée
Il y a quelques années, à l'occasion du concours pour le Musée de la Littérature j'en avais illustré l'esquisse par de courts textes qui tentaient d'imaginer, à travers des histoires, la vie future des utilisateurs du Musée.
Cette expérience s'est prolongée, pour un ensemble de logements sociaux à Liège ("La pièce et la colline") pour un centre sportif et une maison de quartier à Molenbeek ("Sur le quai") ensuite sous la forme de nouvelles, pour une maison particulière dans le Brabant Wallon ("Ittre") pour un complexe de logements et hôtel dans le quartier Européen ("Belliard") pour un ensemble de logements sociaux à Ixelles ("Berger") et enfin pour trois projets Bruxellois ("L.M.S.").
Même si, avec le temps, les textes se sont étoffés ( je travaille depuis deux ans à un roman autour de la boxe et la religion), le principe est resté le même: après l'avant-projet, l'histoire tente d'éclairer la représentation du projet, notamment au niveau de l'usage, de prendre du recul, de se jouer du temps.
Elagir les limites de la représentation
S'interroger sur les raisons d'écrire de l'architecture, c'est s'interroger sur la manière dont l'architecture se formalise.
Aujourd'hui, pour exister, l'architecture doit au préalable être représentée (cela n'a pas toujours été le cas) et cette représentation n'est pas seulement nécessaire dans le cadre de l'acte technique de transmission du concepteur à celui qui exécute, mais aussi pour que les auteurs eux-même puissent, à travers leur dessin, mieux comprendre ce qu'ils ont conçu, en saisir les forces comme les faiblesses (dessiner d'abord, réfléchir ensuite). Dans le cadre de cette condition nécessaire, il faut accepter que les moyens de représentation puissent couvrir un large spectre, un champ plus important que les conventions usuelles (plans, coupes, élévations, perspectives).
Ecrire, c'est représenter, décrire l'espace sous une autre forme, moins précise dans la dimension, mais d'avantage dans l'usage, moins imagée qu'imaginée.
Avec un texte, on peut faire appel à des notions essentielles de l'architecture, mais qui sont très difficiles à exprimer, à contenir par le dessin des notions de durée (comment sera le bâtiment demain, et plus tard, et dans très longtemps?), d'odeurs, de toucher, de bruit, tout ce que l'oeil qui déchiffre le plan ne perçoit pas. Mais aussi de mouvement, de parcours, comment décrire le plaisir ou la répulsion de longer une façade, de passer sous un porche, de découvrir un paysage à travers l'escalier qu'on gravit...
Prendre du recul
L'architecture manque de légèreté, c'est une évidence, même pour le profane. Le praticien en connaît les charges (sans qu'il les estime avec précision, sinon il abandonnerait la pratique). Leurs seules énumérations - lourdeur administrative, pesanteur des normes, responsabilités morale, esthétique constructive, aléatoire de la commande, angoisse de la page blanche etc...- contraint la majorité des architectes à une posture rigide, prudente et sérieuse, retenue et normative.
L'architecture est un monde où l'humour existe peu ou du moins fonctionne mal et le cynisme me semble toujours déplacé, qu'il soit lié à la conscience chez l'architecte de la faiblesse de sa production ou à la désillusion de ne pouvoir, par ses projets, changer le monde.
D'autre part, les architectes ont tendance à croire que les habitants vont comprendre toutes les intentions qui les ont animées, qu'ils vont vivre les lieux comme ils l'ont imaginé.
Les personnages de mes histoires n'ont pas de relation particulière avec les bâtiments, ils les utilisent, c'est tout,.ils ne sont pas obligé d'en comprendre les objectifs, ils peuvent les trouver saugrenus, compliqués, incompréhensibles, ils peuvent être heurtés par leur aspect contemporain, hérissés par leur complexité, agacés par l'usage de la couleur,…
Ecrire de l'architecture c'est l'occasion de s'alléger, de désacraliser le geste, de porter un regard distancié voire ironique sur une discipline que ces pratiquants ont tendance ( mais ont-ils un autre choix? ) à prendre au sérieux
Se jouer du temps
L'architecture est un art, ou une technique (n'ouvrons pas ici le débat) à retardement. Le sculpteur, le maçon, le peintre, ont la possibilité, la chance de porter un regard immédiat sur l'objet de leurs efforts, et donc la faculté de le corriger. L'architecte, s'il a la chance de voir son projet se réaliser, doit attendre plusieurs mois voire plusieurs années pour visualiser ce qu'il a imaginé, et encore, quelques lustres pour vérifier l'usage réel des espaces.
Ecrire, c'est se donner le luxe inouï de défier le temps. En quelques lignes, on gomme les étapes, l'esquisse est sur le papier, le permis accordé; par magie, le cahier des charges écrit, le métré calculé, l'entrepreneur trouvé ( il est même consciencieux) le béton est coulé, le plâtre lissé, la peinture sèche. Surgit un habitant, qui prend possession des lieux et, content ou mécontent, s'en accommode. Un passant longe l'immeuble, c'est de leur histoire qu'il s'agit.