« Je n’écoute plus les infos, ça m’angoisse. » Quelle attitude adopter au temps du covid-19 ? Suivre les infos ou les fuir ? Ou, plus simplement, consommer autrement…
« Un moment clé pour mieux s'informer »
« J’ai beau être étudiant en journalisme, j’ai arrêté de scroller compulsivement les infos sur mon téléphone, sans quoi je serais devenu fou », affirme Pierre Buchkremer, étudiant à l’École de journalisme de l’UCLouvain. « Pour certains, l’information est devenue très anxiogène. Depuis mars, le flux est continu. Il m’arrive de faire des coupures parce que je n’en peux plus. Le public voudrait une information complète et immédiate. Or le doute est constitutif de cette crise du coronavirus et les infos évoluent tout le temps. C’est cela qui est anxiogène. »
Selon l’étudiant, le contexte d’infobésité était déjà présent avant la crise, mais il s’est renforcé. « La presse n’a cependant ni le rôle d’apaiser ni d’affoler. Si la réalité est compliquée, on ne peut pas non plus le cacher. » Une solution ? « On peut fuir l’immédiateté. Ce n’est pas parce qu’on regarde des sites de presse tout le temps qu’on est mieux informé. On vit un moment clé pour mieux s’informer et, à mes yeux, c’est un engagement citoyen. On peut aujourd’hui trouver les médias qui nous correspondent ou s’abonner à des personnes de référence, par exemple sur Twitter, qui permettent de faire un tri. »
Pierre Buchkremer estime aussi que le papier garde une force. « Dans un quotidien, on trouve le condensé de l’information sans être dévoré par l’ogre numérique. Selon moi, l’info service est redevenue cruciale et l’info de proximité aussi. À l’université, on nous apprend qu’il faut faire un pas de côté pour traiter l’information et avoir une manière différente de l’aborder », conclut le futur journaliste.
Catherine Ernens
Journaliste
L'être humain a besoin de perspectives
« On a été exposés de manière constante à l’information covid et c’est anxiogène », estime Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain, membre du groupe d’experts psychologie et corona. « Tous les jours, lorsque la population veut se confronter à l’information, c’est une des nouvelles qui vient en tête. » Par contraste, il estime que les élections américaines ont représenté une respiration dans les informations, ce qui a permis de se sentir mieux mentalement. « Pendant quatre jours, on n’a plus parlé du coronavirus. Les gens ont besoin de moments où on peut parler d’autre chose. D’un côté, ils doivent peut-être faire l’effort de se discipliner pour suivre les infos de façon moins systématique, deux fois par jour par exemple. D’un autre côté, les médias doivent mener une réflexion sur le fait de bombarder constamment le public avec cette information qui a un effet négatif sur le moral des individus, leur motivation et leur bien-être psychologique. »
Selon le psychologue, ce n’est pas parce que le coronavirus n’est plus une information centrale que la population va moins appliquer les gestes de protection. « Mais ils auront au moins un espace pour penser à autre chose. Le manque de perspectives est anxiogène. » Heureusement, cela a changé, un peu, avec l’annonce d’un potentiel vaccin. « L’être humain a besoin de planifier sur le long terme. Quand on bloque les perspectives temporelles, on augmente fortement l’anxiété. Ceux qui se sont moins informés se sont épargné une part d’anxiété. » Les personnes peuvent réguler leur consommation d’information. « Mais les médias ont une responsabilité parce qu’une partie de la population craint pour sa santé et ces gens vivent cloitrés chez eux. » C.E.
« Le monde continue de tourner »
« De plus en plus de gens disent qu’ils n’écoutent plus les médias. C’est compliqué quand on est dans les hard news parce que c’est difficile de mettre les chiffres en perspective », explique Leslie Rijmenans, journaliste à Nostalgie et co-fondatrice de New6s, les acteurs de l’info constructive. « Il est important de remettre les choses en contexte et de voir les progrès qui sont faits. L’info constructive a besoin d’un certain recul. Faire de l’info solution, c’est possible à partir du moment où il y a une distance. » Selon la journaliste, pour que l’info soit moins anxiogène, il faut travailler sur le ton, sur les images et ne pas tout axer sur les hospitalisations. La pondération est le maitre-mot de cette information anxiogène.
« Mon seul levier pour le moment est de ne pas tout axer sur le covid. Car le monde, mine de rien, continue de tourner. » Un conseil ? « Il faut choisir ses médias, choisir le genre d’info que l’on veut recevoir. Se dire que tel média ne fait pas du bien mais que d’autres sont porteurs de solutions ou expliquent comment les gens se réinventent. » La co-fondatrice de New6s veut mettre en avant ce qui va bien. « Pour l’instant, je m’occupe d’une plateforme d'estimation de la valeur d’objets qui marche très fort : les gens ne bougent plus de chez eux mais ils sont très intéressés par cette idée. On est bien d’accord que le covid est une catastrophe mais il faut aussi voir les opportunités. En tant que journaliste, on a le devoir d’être optimiste pour partager des lueurs d’espoir dans le tunnel que nous traversons. » C.E.
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Article paru dans le Louvain[s] de |
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