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« Ce qui reste quand on ne peut plus s’approcher, c'est la parole »

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Le témoignage du Pr Olivier Servais, anthropologue et doyen de la Faculté des sciences économiques, politiques, sociales et de communication (ESPO) de l’UCLouvain.

Vous et votre famille êtes tombés malades durant deux semaines. Aujourd’hui, vous allez mieux. C’était le Covid-19 ?

En l'absence d'une sérologie, on ne saura pas avant longtemps avec certitude si c'est bien cela qui nous est arrivé, mais à peu près tous les symptômes y étaient. De par mon métier, je me trouve souvent dans des régions reculées sans médecin ni hôpital et j'ai appris à m'analyser sur le plan sanitaire. Juste après la Foire du livre, j'ai senti que je n'allais pas bien du tout, ganglions gonflés, etc. Puis cela a disparu pendant quelques jours, avant de revenir de plus belle avec toute la panoplie : immenses coups de fatigue, toux, encombrement des poumons, courbatures... la seule absente c'était la fièvre. Mes deux filles qui m'avaient accompagné à la Foire du livre ont été malades tout à fait comme moi, mon épouse et mes deux autres filles malades aussi mais différemment. Bref : toute la famille confinée aux prises avec ça pendant quinze jours.

Qu’est-ce qui se passe dans votre tête à ce moment-là ?

C'est une expérience difficile corsée par l'incertitude, « est-ce que c'est bien ça ou pas »... J'en retire un sentiment mitigé et aussi la satisfaction d'en être sortis ensemble à moindres frais finalement, ayant pris le soin, dès que j'ai suspecté le Covid-19, de faire le plein de zinc et de vitamine D et C pour renforcer notre immunité.

Chacun·e y va de sa petite blague sur le coronavirus et internet est rempli de petites images détournées (les mêmes), tweets et vidéos plus ou moins humoristiques. C’est mal vécu quand on est malade ?

Au contraire. Vive la créativité, le recul sur soi et l'humour ! Tout ce qui permettait de décaler le propos nous a fait un bien fou.

L'organisation des cours à distance et le télétravail n'étaient déjà pas aisés à mettre en place. Alors si le doyen de l’une des plus grosses facultés est lui-même atteint, que se passe-t-il ?

Heureusement, je n'ai jamais totalement coupé le lien avec la faculté et d'ailleurs cela m'a plutôt aidé à faire face à la maladie. Par ailleurs, je ne crois guère au mythe de l'homme - ou de la femme – providentiel·le, plutôt à l'efficacité du collectif face aux défis. En tant que doyen, j'ai la chance d'avoir une équipe impressionnante de compétences et de motivation, des vice-doyennes et vice-doyens au staff administratif, en passant par les responsables d’écoles ou des quelque quatre-vingts commissions de programme ! Comme je suis en outre plutôt un adepte de la subsidiarité, j'ai pu lâcher à moitié quelques jours, déléguer et faire confiance, toujours.

Ce n'est pas qu'une question de réponses techniques – cours à distance, télétravail – ; la crise met tout au défi, les individus, les familles, les liens professionnels et sociaux, les ressources physiques et les autres. À l'échelle de notre faculté qui est vaste et très diverse, on expérimente aujourd'hui de manière inattendue, et en vraie grandeur aussi, les limites de ce « tout numérique » qui pourrait tenter parfois notre université ou le monde académique dans son ensemble. Une chose m'a frappé : ce qui reste quand on ne peut plus s'approcher, se toucher, se réunir, c'est le son de la voix et la parole. Or la parole devient d'une importance fondamentale quand elle est tout ce qui reste du besoin de partage et d'entraide viscéralement présent dans cet être de sens et d'affects qu'est l'être humain. Je suis heureux de rendre hommage à chacune et à chacun de mes collègues en particulier !

>> Lire l'analyse d'Olivier Servais sur ce que cette crise dit de notre société, avec son regard particulier d'anthropologueÌý