Les mesures de confinement déployées face au Covid-19 ont précipité un glissement partiel sinon complet vers le télétravail. Dans de nombreux secteurs, les réunions virtuelles constituent désormais le cÅ“ur de l’organisation du travail. Un mois après le début du confinement, que dites-vous de ces réunions ? Et que disent-elles des organisations ?ÌýLa pratique des réunions virtuelles va-t-elle s’implanter durablement dans l’organisation du travailÌý?Ìý
Nous1 nous sommes intéressés à ces questions à l'aide d'une enquête distribuée au sein de trois universités belges francophones, l’UCLouvain, l’ULiège et l’ULB. Nous présentons ici les résultats intermédiaires.ÌýJusqu'à présent, 700 employés des corps académique (39%), scientifique (32,6%), administratif (23,2%) et ouvrier et technique (5,1%) ont participé à l’enquête. Leur âge moyen est de 41 ans et 62% sont des femmes.
L’enquête révèle un glissement complet des réunions en face-à -face aux réunions virtuelles. Avec le confinement, le nombre moyen de réunions en face-à -face a drastiquement diminué, passant de 4,5Ìý à 1 par semaine, tandis que le nombre moyen de réunions virtuelles a fortement augmenté, passant de 0,5 à 5 par semaine.
Malgré le caractère précipité du changement, les réponses reflètent une large satisfactionÌý: non seulement les réunions virtuelles sont vues comme nécessaires en cette période de confinement, mais une grande majorité d’enquêtés souligne leur efficacité. Selon les précisions qu’ils apportent, les réunions d’équipe rassemblant 2 à 4 personnes seraient particulièrement efficaces pour atteindre des objectifs préalablement définis comme prendre une décision, solutionner un problème, et transmettre des informations ou des instructions.Ìý
Par contre, les réunions virtuelles s’avèrent moins satisfaisantes du point de vue relationnel. Bien qu’elles permettent d’assurer une continuité du lien social, elles semblent inadéquates pour créer de nouvelles relations. De plus, ces réunions laissent peu de place aux moments informels, souvent décrits comme sources de nouvelles idées. Pour retrouver les bénéfices des échanges informels, les enquêtés utilisent d’autres moyens de communication comme WhatsApp ou le téléphone, ou organisent des réunions virtuelles ad hoc, sous forme de pause-café, voire d’apéritif à distance. Ces réunions plus décontractées n’égaleraient cependant pas la spontanéité d’une rencontre dans le couloir.
Un autre résultat important de l’enquête concerne le rôle du modérateur. Pour plus de 50% des enquêtés, le rôle du modérateur est plus important que dans les réunions en face-à -face, particulièrement pour distribuer la parole de façon équitable. Ce renforcement du rôle du modérateur serait dû à l’absence partielle ou complète de la communication non verbale.
Enfin, les réunions virtuelles questionnent la nature du pouvoir dans les organisations. Les fondements symboliques et (inter)personnels du pouvoir, comme la signification d’un lieu, la place occupée à la table de réunion et les apartés, semblent en effet se diluer au sein des réunions virtuelles. Par contre, la qualité des équipements et des connexions individuelles au réseau internet apparaissent comme de nouvelles sources de pouvoir. De fait, ces facteurs techniques jouent un rôle important dans la manière dont un argument est ou n'est pas entendu par les participants.
Dans la mesure où l’efficacité des réunions virtuelles est également liée à des motifs environnementaux et à l’utilisation optimale du temps dans les organisations multi-sites, ces observations devraient alimenter une réflexion collective sur l’évolution des organisations après le confinement.Ìý
Sophie Thunus
Professeure Management des établissements et services de soins de santé.
Sophie Thunus, Institut de recherche santé et société, UCLouvain, Frédéric Schoenaers, Centre de recherche et d’interventions sociologiques, ULiège ; Céline Mahieu, École de santé publique, ULB, Willem Standaert, HEC Liège, ULiège.